PARMI LES VOLEURS

Il y a quelque temps, lorsque les missionnaires étaient expulsés de la Chine centrale, une dame norvégienne vint se réfugier dans la maison où nous passions l'hiver. C'était une personne douce et tranquille, et que l'on aurait jugée à première vue incapable de grands exploits. Un soir cependant elle me raconta quelques-unes des circonstances de sa vie où elle avait eu à souffrir pour le nom du Seigneur.

Il lui était arrivé une fois d'être la seule étrangère dans une grande ville. Les Chinois se tournèrent contre elle et lui enjoignirent de s'en aller immédiatement.

-- Très bien, répliqua-t-elle, je partirai demain matin.

Elle ne savait où aller, ni comment voyager, mais elle était sûre que Dieu lui ouvrirait un chemin, aussi n'éprouvait-elle aucune frayeur. Elle se recommanda au Seigneur et Il ne l'abandonna pas. Tard dans la soirée une troupe de brigands fondit à l'improviste sur la ville. Ils tuèrent quelques habitants, détruisirent plusieurs maisons, et emportèrent un grand butin.

Quand le matin arriva, la ville présentait un aspect de désolation. Au lieu de chasser l'étrangère, les Chinois se pressaient en foule à la porte de sa maison, lui demandant de panser leurs blessures. Mon amie n'était pas médecin, ni même infirmière, mais elle avait quelques notions des soins à donner, et surtout du courage et du bon sens, et par dessus tout de la foi. Elle se mit au travail et pansa les plus terribles blessures; elle se vit même obligée parfois d'extraire une balle avec son canif. Comme vous pouvez le deviner, il ne fut plus question de la renvoyer de la ville. Je dois ajouter que quelques-uns de ses patients étaient des brigands qui avaient reçu des blessures trop graves pour pouvoir s'échapper avec le reste de la bande.

Plusieurs années se passèrent. Quelques missionnaires avaient rejoint notre amie, l'Évangile était annoncé et il s'était trouvé bien des coeurs pour le recevoir dans cette ville autrefois si hostile.

Notre amie était allée visiter une autre station missionnaire à une petite distance de là. Après quelques semaines de séjour, elle jugea qu'il était temps de rentrer, mais ses amis n'aimaient pas la laisser repartir seule.

-- La contrée est infestée de brigands, lui dirent-ils, il n'est pas prudent de voyager sans une escorte de soldats.

Mais elle était décidée à partir et se mît en route en chaise à porteurs. Le premier jour il, n'y eut aucun incident, et elle s'arrêta pour la nuit dans une auberge chinoise avec son escorte. Le lendemain matin ils partirent de bonne heure, espérant arriver à leur destination pour le dîner.

Soudain ils entendirent des cris stridents, et plusieurs hommes à l'air menaçant s'élancèrent sur eux. Ils ordonnèrent aux porteurs de poser la chaise, et ceux-ci, terrifiés, obéirent aussitôt. Les brigands, entourant la petite troupe de voyageurs, commandèrent à la dame de leur donner son argent et tout ce qu'elle possédait. Quand ce fut fait, ils dirent:

-- Vous pouvez continuer votre chemin à présent.

Les deux porteurs étaient si effrayés que ce fut avec des mains tremblantes qu'ils soulevèrent leur fardeau.

-- Dépêchez-vous, s'écria notre amie, la ville est déjà en vue.

Mais les pauvres gens étaient si bouleversés qu'ils étaient incapables de marcher vite, et un instant après les bandits les interpellaient de nouveau:

La dame s'est-elle trouvée mal? demandèrent-ils. Non, répondirent les hommes.

Alors apportez-la ici.

Les porteurs obéirent.

-- N'avez-vous pas peur? demandèrent les brigands, en la faisant sortir de sa chaise.

-- Non, répondit-elle tranquillement, et en me racontant cette histoire elle ajouta: "Et c'était vrai, je n'étais pas effrayée; la paix de Dieu remplissait à tel point mon coeur qu'il n'y avait plus de place pour la peur, quoique je ne susse pas du tout ce que ces méchants hommes allaient faire de moi."

-- Savez-vous chanter? fut la question inattendue.

-- Oui.

-- Alors chantez-nous quelque chose.

Elle était une faible femme au milieu d'une centaine d'hommes farouches et méchants pour lesquels un meurtre n'était rien. Mais cette pensée lui vint: "C'est peut-être la dernière fois que je puis rendre témoignage à l'amour de Christ; que chanterai-je pour en faire connaître quelque chose à ces pauvres païens?"

Elle n'hésita qu'un instant, puis sa voix s'éleva au-dessus des rochers et des collines tandis qu'elle chantait l'amour de Dieu et ce que son Fils a fait pour nous. Lorsqu'elle eut fini, il y eut un moment de silence, puis on lui demanda un autre cantique, puis encore un autre. Elle leur chanta ainsi tout son répertoire, et je ne sais combien de temps cela aurait duré, ni si on l'aurait jamais laissée partir libre, mais tout à coup survint un jeune homme à cheval qui paraissait le chef de la bande. Il regarda attentivement la prisonnière, puis, s'adressant à elle par son nom, il lui demanda où elle allait. Elle lui désigna la ville qu'on apercevait dans le lointain, et il enjoignit aussitôt aux porteurs de l'y conduire. Puis, se tournant vers ses hommes, il s'informa s'ils lui avaient pris quelque chose. Ils assurèrent que non.

-- Alors partez tout de suite, dit-il, puis il ajouta: Peut-être ne me reconnaissez-vous pas, mais moi je vous connais bien.

Vous pouvez vous représenter avec quelle joie et quel soulagement notre amie remonta dans sa chaise, et combien elle était reconnaissante envers Dieu pour sa protection. Peu de temps après elle se trouvait de retour au milieu de ses amis, très intéressés par son récit.

-- Ce doit être un des brigands que vous avez soignés autrefois, lui dirent-ils.

Mais une surprise lui était réservée. Après avoir pris le repos dont elle avait grand besoin, elle descendit dîner, et que pensez-vous qu'elle trouva sur la table? Tous les objets que les voleurs lui avaient pris: argent, vêtements, ils avaient tout renvoyé.

N'y avait-il pas là un accomplissement de cette promesse:

"Invoque-moi au jour de la détresse: je te délivrerai, et tu me glorifieras" (Ps. 50:15)?


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