LES PIRATES ET LE LIT

Une jonque

C'était un joli petit lit de fer, verni en blanc, comme celui dans lequel vous dormez chaque nuit, mes enfants; seulement il avait dans le haut une monture de métal pour soutenir un moustiquaire, car il devait être utilisé dans le sud de la Chine où il y a beaucoup de moustiques; et ceux-ci ne sont pas seulement redoutés à cause des terribles démangeaisons produites par leurs piqûres, mais aussi parce qu'ils transportent la malaria.

Le matelas était tout neuf aussi. Il n'était pas tout à fait comme les vôtres, car, au lieu de contenir de la laine et du crin, il était fait de copeaux de bambou, cette plante étant très abondante dans le sud de la Chine.

J'avais acheté le lit et son matelas dans un grand magasin de Hong Kong, et je l'avais fait emballer soigneusement dans des nattes de bambou et du papier huilé, parce qu'il devait faire un long voyage.

Il n'y avait pas d'agences d'expédition, et je ne pouvais pas non plus charger le magasin d'envoyer le lit pour moi. Non, et c'était une affaire bien plus compliquée d'emporter mon acquisition chez moi, à 300 kilomètres de là, que de l'acheter. Mais pour commencer tout parut s'arranger facilement.

C'était un vendredi que j'avais fait mon achat et je découvris tout à coup qu'une petite jonque devait partir pour la ville que nous habitions, le lundi suivant. Tout heureux, je payai le prix du transport et la somme demandée pour porter mon lit du magasin sur le bateau.

Puis je dus le laisser, car le vieux missionnaire à l'intention duquel je l'avais acheté était malade et avait besoin de moi, et j'espérais pouvoir le rejoindre par un moyen plus rapide que la jonque.

Je ne veux pas vous raconter tous les incidents de mon retour, mais me contenterai de vous dire qu'après une semaine de voyage ininterrompu j'arrivai à la maison. Une des premières questions que l'on me posa fut:

-- Où est le nouveau lit?

Je racontai gaiement la bonne chance que j'avais eue de trouver la jonque sur le point de partir; et quoique nous sussions bien qu'elle pouvait mettre trois semaines à arriver si les vents étaient contraires, nous étions tout disposés à l'attendre patiemment, puisque nous avions l'espoir que le pauvre malade pourrait bientôt échanger sa couche actuelle, formée de trois planches posées sur des chevalets et recouvertes seulement d'une couverture, contre un vrai lit à ressorts avec un matelas.

Les semaines s'écoulaient, mais le lit n'arrivait pas. Que s'était-il passé? La jonque avait-elle fait naufrage? Ou bien (et c'est là ce que nous jugions le plus probable) les pirates s'étaient-ils emparés de la barque et de sa cargaison?

Hélas, nos pires craintes se trouvèrent bientôt réalisées, car au bout de six semaines d'attente, l'un des marchands arriva, apportant la triste nouvelle que tout avait été capturé.

-- Que payeriez-vous pour racheter votre lit? nous demanda-t-il, voulez-vous donner 60 %, de sa valeur?

-- Nous ne faisons pas de commerce avec des voleurs, fut notre seule réponse. D'autres messagers vinrent ensuite:

-- Voulez-vous payer 30 %?

-- Non, nous ne traitons pas avec des voleurs.

-- Combien payeriez-vous?

-- Pas un centime.

C'était pénible, mais nous ne voulûmes pas céder, et les négociations tombèrent. Nous prîmes le parti d'en rire, et nous plaisantions quelquefois avec le vieux missionnaire (qui entre temps s'était rétabli sur sa couche primitive) en pensant au chef des pirates, sans doute confortablement étendu sur le joli lit blanc et jouissant du matelas moelleux, luxe inconnu de lui jusqu'alors.

Cela faisait partie de ces "toutes choses" dont il faut être prêt à accepter la perte, comme l'apôtre Paul autrefois, et qu'il faut savoir "estimer comme des ordures", pour l'amour de Christ; aussi cette perte ne nous laissa-t-elle aucune pensée d'amertume, quoique nous présentâmes l'affaire au Seigneur.

Mais la réalité est souvent plus étrange que la fiction. Un jour un de nos amis apparut tout excité. Le lit arrivait! Ou plutôt la jonque arrivait! Les soldats avaient arrêté les pirates. Peut-être le chef sommeillait-il dans le nouveau lit: on ne nous donna pas de détails, mais chacun était très excité.

Quelques jours se passèrent, et alors enfin arriva l'objet du litige. Nous sortîmes à la rencontre des porteurs, assez anxieux de voir dans quel état le chef des pirates avait laissé le lit. Mais il n'avait pas même été déballé. Peut-être ne se doutait-il pas de ce que c'était, mais en tout cas il ne sut jamais de quel confort il s'était privé!

Un monsieur chinois accompagnait le colis et nous lui demandâmes le montant des dépenses que nous pensions devoir être très élevé; mais à notre grand étonnement il n'y avait rien à débourser. La taxe, le transport, les soldats, les porteurs, tout était payé. Il nous dit:

-- La jonque et toute la cargaison sont revenus à cause de votre lit. Ce doit être votre Dieu qui en a pris soin, ou autrement nous n'aurions jamais revu nos effets.

En vérité ce n'est jamais en vain qu'on se confie en Dieu, et vous, mes chers enfants, vous avez chacun une âme plus précieuse que tous les biens de ce monde. Pouvez-vous dire avec l'apôtre Paul: "Je sais qui j'ai cru, et je suis persuadé qu'il a la puissance de garder ce que je lui ai confié jusqu'à ce jour-là"? (2 Tim. 1:12).

"Bienheureux tous ceux qui se confient en lui!" (Ps. 2:12.)

 

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