UNE FORTE TOUR

Une tour

"En voyages souvent, dans les périls sur les fleuves, dans les périls de la part des brigands, dans les périls de la part des nations, dans les périls à la ville, dans les périls au désert, dans les périls en mer."

En parcourant nos pays civilisés en chemin de fer ou en automobile, on rencontre une quantité de fermes solitaires. Les unes sont grandes, les autres petites, mais elles sont séparées des demeures les plus proches par de vastes étendues de champs et de vergers. La plupart d'entre elles paraissent paisibles et confortables, entourées de leurs granges et de leurs étables; en été les blés dorés ondulent sous la brise du soir, en automne les arbres des vergers plient sous le poids des fruits savoureux.

Je me demande si ceux qui vivent ainsi en paix et en sécurité ont jamais pensé à remercier Dieu pour cette grande bénédiction, et s'ils sont reconnaissants d'habiter dans un pays christianisé où les vies et les propriétés sont respectées, car dans les contrées païennes, où le seul vrai Dieu n'est pas connu, il en va tout autrement.

Lorsqu'un étranger voyage en bateau ou en chaise à porteurs à travers la Chine méridionale, la première chose qui le frappe, c'est le grand nombre de tours fortifiées qu'il rencontre; une seconde cause d'étonnement est l'absence de maisons de ferme. Personne n'oserait vivre dans une habitation isolée; les gens s'assemblent, bâtissent leurs demeures serrées les unes contre les autres et les entourent si possible d'une haute muraille, et, si cela ne peut se faire, ils plantent une épaisse haie d'épines tout autour du village. Quelquefois, au lieu d'une porte, ils mettent aussi un gros faisceau d'épines pour boucher l'ouverture qui sert d'entrée.

Et pourquoi toutes ces précautions? A cause des brigands qui se cachent sur les collines et dans les lieux écartés et sortent la nuit en troupes nombreuses. Ils fondent comme des oiseaux de proie sur un petit village, s'emparent du bétail, des volailles; ils dévalisent les pauvres gens, démolissent les maisons, tuent la plupart des habitants ou les emmènent prisonniers et ne les libèrent que contre rançon. Les paysans vivent dans une terreur continuelle, et voilà pourquoi ils bâtissent leurs demeures si près les unes des autres, et construisent les énormes tours que vous voyez dans toute la campagne chinoise.

Je me souviens d'avoir, il y a quelques années, remonté la rivière au bord de laquelle nous habitons jusqu'à une petite ville nommée "Puk Wan". C'était un charmant endroit. Chaque maison avait son jardin planté de fleurs et de légumes. L'ami que nous allions voir, notre professeur de chinois, nous reçut très aimablement. Sa femme et sa fille apparurent bientôt, portant des bols de macaronis cuits dans de l'eau sucrée. Il fallut les manger avec des bâtonnets, ce qui est plus difficile à exécuter qu'à écrire. Lorsque nous eûmes fini notre repas, sous les yeux de toutes les femmes et de tous les enfants de la famille qui nous considéraient avec curiosité (mais on finit par s'y habituer), M. Faan nous emmena voir le village. La première chose qui frappa nos regards fut une tour élevée, aux épaisses murailles. On y pénétrait par une porte massive et ses fenêtres étaient très petites, de simples fentes, très haut, près du sommet. Il y avait plusieurs étages auxquels on accédait par un escalier tournant, et tout en haut une terrasse entourée d'un mur. Les hommes pouvaient s'y poster et jeter de là des pierres sur leurs ennemis, ou leur tirer dessus s'ils avaient des fusils.

-- Mon père avait beaucoup d'argent, nous expliqua M. Faan, mais, au lieu de le donner à ses enfants, il en employa la plus grande partie à construire cette tour.

-- Et vous en êtes-vous jamais servi? lui avons-nous demandé.

-- Pas jusqu'à maintenant, répondit-il, et nous sommes si pauvres que nous regrettons souvent l'argent que notre père a dépensé pour la bâtir.

Le jour suivant, avant de retourner chez nous, nous traversâmes la rivière pour voir la ville de l'autre côté. Elle se composait principalement d'une longue rue bordée de maisons, aux murs de boue sèche. Tous les cinq jours se tenait là un marché, où l'on pouvait acheter de la viande, du poisson, des légumes, du sucre de canne, du chanvre, du bois à brûler et bien d'autres choses encore. Les marchandises arrivaient en bateau, et la paisible rue se trouvait transformée en une scène de bruit et de confusion. Ces marchés qui se tiennent dans toutes les grandes villes offrent une bonne occasion d'annoncer l'Évangile et de distribuer des traités aux paysans venus des villages isolés où nul missionnaire n'a pénétré. C'est une grande joie de voir une Chinoise à l'expression heureuse, assise sous un arbre, son panier plein d'Évangiles et de traités; les femmes et les enfants s'assemblent autour d'elle et l'écoutent chanter un cantique ou réciter un verset de l'Écriture, puis raconter très simplement l'antique histoire. Ou parfois un missionnaire étranger est parvenu jusqu'à cette ville et, dans son meilleur chinois, il parle à la foule du seul vrai Dieu et de Jésus Christ qu'Il a envoyé. Plus d'un coeur plongé dans les ténèbres a reçu son premier rayon de lumière dans un marché.

Environ un an après notre visite, M. Faan était chez nous lorsqu'il reçut la nouvelle que les brigands étaient venus à Puk Wan. Ils s'étaient emparés du village et des boutiques, mais les habitants s'étaient tous réfugiés dans la tour, et jusqu'à ce moment aucun n'avait été pris. Que fallait-il faire? La femme, la fille et les trois petits garçons de M. Faan étaient tous enfermés dans la tour.

-- Il faut que j'y aille tout de suite, dit le pauvre homme, et vous prierez pour nous.

Nous le lui promîmes, et le lendemain matin il se mit en route. M. Faan était un homme grand et maigre, et d'un caractère très timide. Se confiant en Dieu pour être gardé, il fit cette longue course de quinze kilomètres, arriva sans encombre et put pénétrer dans la tour sans avoir été vu par les brigands.

Quelle confusion régnait à l'intérieur! Environ quatre cents personnes y étaient rassemblées, il n'y avait pas assez de place pour qu'elles pussent toutes se coucher, la nourriture était très peu abondante, et l'eau potable était rare. Un brave homme se glissait dehors chaque soir et rapportait deux grands seaux qu'il avait remplis à la fontaine; mais c'était courir un gros risque, car les brigands possédaient des fusils et ils étaient constamment sur le qui vive.

Je suis sûr que Mme Faan et ses enfants furent bien contents de revoir leur protecteur, et quelle fut la première chose qu'il dit?

-- Il nous faut prier.

Les autres gens se moquèrent de lui. Ils étaient tous des païens et ne savaient pas ce que le Dieu des chrétiens peut faire. Pendant quatre ou cinq jours les brigands restèrent là. Ils se nourrissaient des volailles trouvées dans le village, ils s'emparèrent des couvertures, des vêtements et d'autres biens des voisins, mais ils ne prirent pas une seule chose dans la maison de M. Faan.

Pendant tout ce temps il priait et les gens se moquaient de lui, mais le cinquième jour, sans raison apparente, les brigands quittèrent la ville en sonnant de la trompette et en battant du tambour. Combien les habitants furent heureux de rentrer dans leurs demeures! Beaucoup de choses avaient été emportées, mais les maisons étaient encore debout et personne n'avait été tué. Comprirent-ils que c'était Dieu qui les avait protégés? Je ne puis le dire, mais M. Faan au moins savait ce qui en était, et que d'actions de grâces nous rendîmes ensemble à Dieu, lorsqu'il fut de retour auprès de nous et nous eut tout raconté.

Peu de temps après, notre professeur loua une maison dans notre ville et y amena sa femme et ses enfants. Plus tard je retournai encore une fois à Puk Wan; quelle différence d'avec ma première visite! Les brigands y étaient revenus et tout avait été pillé. Ces méchants hommes avaient employé le bois des fenêtres et des portes pour faire des feux au milieu des maisons. Plusieurs toits s'étaient écroulés, des murs avaient été renversés, et personne n'était resté dans cette scène de désolation. Le marché avec sa bruyante animation n'était plus qu'une chose du passé et l'herbe poussait maintenant librement là où s'élevaient autrefois les échoppes aux vives couleurs. Je me détournai tristement de cette scène de ruine, sentant combien sont misérables ceux qui essayent de vivre sans Dieu.

Et maintenant voulez-vous chercher avec moi un passage dans le chap. 18 des Proverbes. Nous lisons au verset 10: "Le nom de l'ÉTERNEL est une forte tour; le juste y court et s'y trouve en une haute retraite". Vous êtes-vous réfugié dans cette tour, cher enfant? Peut-être direz-vous: "Ce n'est pas pour moi, je ne suis pas juste". Comment Abraham est-il devenu juste? Lisez Genèse 15:6: "Et il crut l'Éternel; et il lui compta cela à justice". C'est le fait même que vous êtes venu à la Forte Tour qui prouve que vous avez la justice d'Abraham. Et qu'est-ce qui vous attire vers la Tour? Qu'est-ce qui poussait les pauvres habitants de Puk Wan à courir si vite vers le refuge qui leur avait été préparé? C'était un sentiment de besoin, un besoin désespéré; ils croyaient que dans la tour se trouvait le salut et ils y couraient. Avez-vous jamais senti votre besoin? Avez-vous jamais pensé qu'un jour vous devrez mourir, et "qu'après la mort vient le jugement"? Ne faites pas comme un petit garçon juif à qui on avait parlé du salut en Jésus: il écouta attentivement et dit: "Ce sera une bonne chose à se rappeler quand le jugement viendra". Oh! ce sera trop tard. C'est maintenant que vous avez besoin d'entrer dans la Forte Tour. "L'homme avisé voit le mal et se cache; mais les simples passent outre et en portent la peine." (Prov. 22:3.)


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