LA FIDÈLE GRAND-MÈRE

Une grand mère

La ville de Yeong Kong, au sud de la Chine, se trouve dans une vallée entourée de trois côtés par de hautes collines. Dans cette vallée serpente un fleuve qui finit par se jeter dans l'océan lointain. De hautes murailles encerclent la ville. Quatre portes y donnent accès. Chaque soir, au coucher du soleil, elles sont fermées par des soldats. Plusieurs maisons cependant sont bâties en dehors des murailles, tout au bord de la rivière. Dans cette région de la Chine il pleut beaucoup, et quelquefois la rivière déborde, inondant les champs de riz et les habitations aussi.

Au mois de juillet 1922, mon mari et mes filles faisaient une tournée missionnaire. Ils voyageaient en bateau. Un matin leur vieux marinier leur montra un bel arc-en-ciel à l'horizon.

-- Quand nous voyons un arc-en-ciel comme celui-là, nous savons qu'une inondation se prépare, dit-il.

Le vieil Ah Yik est un chrétien, mais il est très ignorant, et je pense qu'il ne sait rien de Noé ni de l'arc que Dieu a placé dans les nuées comme signe que la terre ne serait plus détruite par l'eau; sinon il aurait été encouragé par la pensée que, même en jugement, Dieu se souvient de sa miséricorde.

Mais il ne se trompait pas quant à l'inondation. Cette même nuit s'éleva un terrible typhon; la pluie tombait à torrents, le vent soufflait avec violence et le niveau de la rivière montait rapidement. Quand, deux jours après, mon mari retourna voir son bateau, il trouva la campagne entièrement couverte d'eau; les vagues venaient battre la muraille de la ville. Les gens s'affairaient, les jambes dans l'eau, portant des paniers contenant des poulets, des chats, de jeunes chiens, et même de petits cochons qu'ils cherchaient à mettre en sûreté. On n'apercevait plus que le toit de certaines maisons, et quelques-unes, construites en boue, s'étaient complètement effondrées. Au milieu de la rivière se trouve une île assez vaste qui était entièrement sous l'eau, et les habitants avaient cherché un refuge sur le faîte de leurs toits. De petits bateaux flottaient là où deux jours auparavant on voyait de belles plantations de riz. Il ne se passa pas longtemps avant que mon mari et quelques chrétiens chinois se fussent procuré une embarcation pour porter de la nourriture à ces pauvres gens.

Ce fut en distribuant du riz sur cette île que nous découvrîmes la "Fidèle grand-mère", comme nous l'avons appelée dès lors. Elle était dans une triste situation. Elle était veuve; son fils unique avait été noyé dans l'inondation et sa jeune femme tuée par l'effondrement de leur maison. Tout ce qui restait à la vieille femme était son petit-fils âgé de deux ans. Lorsque les eaux se furent retirées, ce qui arriva quelques jours plus tard, elle chercha à relever les murs écroulés de sa maison, mais elle dut en rester là faute de ressources. Cependant, grâce à l'aide de quelques amis, elle obtint la somme nécessaire pour faire poser un nouveau toit. Quelle triste demeure! Tout ce qu'elle possédait avait disparu, et bien plus que cela, son fils unique et sa belle-fille étaient morts. C'était une femme courageuse; elle se mit au travail pour essayer de gagner quelque chose en sarclant les champs de riz, et, dans l'eau jusqu'aux chevilles, son petit-fils attaché sur son dos, elle peinait tout le long du jour. Mais elle ne pouvait pas gagner beaucoup. Dix "cents" par jour est le salaire habituel que l'on reçoit pour cette besogne ingrate, et par le mauvais temps on ne peut travailler. Or dix cents (cinquante centimes) ne suffisent pas à entretenir deux personnes, et, très souvent, la seule nourriture des pauvres gens consistait en un peu de concombre ou de courge qui avait poussé dans le jardin. Le petit garçon tomba bientôt malade et sa grand-mère l'apporta à la Mission pour avoir des médicaments. Chaque fois qu'elle venait, on lui racontait quelque chose du Seigneur Jésus. Cela paraissait vraiment bien étrange à cette pauvre femme ignorante, élevée dans les ténèbres du paganisme, d'entendre parler d'un Dieu qui l'aimait -- qui l'aimait assez pour avoir envoyé son Fils unique mourir pour elle. Quelle différence avec les "Gui" ou démons qu'elle était accoutumée à adorer, lesquels, pensait-elle, cherchaient constamment à lui nuire, et auxquels elle devait brûler de l'encens et offrir des présents pour détourner le mal qu'ils auraient voulu lui faire.

Elle ne reçut pas tout de suite la bonne nouvelle. Il lui fallut traverser encore bien des peines et des angoisses avant de se laisser trouver par le Bon Berger. Son petit-fils était sa grande consolation. Parfois, la nuit, il se réveillait et passait sa petite main sur la figure de sa grand-mère pour voir si ses yeux étaient humides de larmes, ce qui arrivait souvent, hélas! Alors il se serrait contre elle et lui témoignait son affection par de tendres caresses; mais s'il se trouvait qu'elle n'avait pas pleuré, il se retournait sur son lit et se rendormait.

C'était un enfant délicat que le froid et le manque de nourriture avaient fortement éprouvé, et au cours de l'été 1923 sa petite vie prit fin. Heureux enfant, retiré de ce triste monde pour être auprès du Seigneur qui a dit lui-même qu'Il était venu "pour sauver ce qui était perdu". Mais quel chagrin pour la pauvre grand-mère! Elle emprunta de l'argent et paya des prêtres pour brûler de l'encens, dire des prières et accomplir d'autres rites païens pour le petit esprit qui était maintenant auprès de Jésus; mais elle était ignorante et désirait montrer ainsi l'affection qu'elle portait à son petit-fils. Et maintenant qu'elle était toute seule et désolée, elle parut plus disposée à écouter l'évangile. Peu à peu la bonne nouvelle pénétra tout doucement dans son coeur; les ténèbres se dissipèrent lentement, les idoles furent abandonnées et la vieille femme suivit régulièrement les réunions. Enfin, un jour, elle confessa le Seigneur Jésus comme son Sauveur.

Au mois de mai 1924 elle fut baptisée, et je ne pus m'empêcher d'être frappée, en la rencontrant quelques jours après, de voir combien son visage avait changé depuis la première fois que je l'avais rencontrée. Son regard dur et désespéré avait fait place à une expression de douce paix.

Le Bon Berger, s'Il a perdu une brebis, va après elle "jusqu'à ce qu'Il l'ait trouvée".


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